La mémoire humaine est une chose qui me fascine. Je ne sais pas grand-chose dessus mais je sais trois choses dont je me souviendrai à jamais : on ne retient que les bons souvenirs, on ne peut pas garder des souvenirs de quand on était tout petit et les souvenirs s’effacent au fur et à mesure. La première est fausse, je le sais depuis longtemps. Quant à la deuxième, je crois que ça dépend des personnes. Mais la dernière, je suis désormais sûr qu’elle est vraie. Elle ne l’est cependant pas assez pour que je parvienne à oublier ce qui fait le plus mal.
Mon premier souvenir remonte à mes deux ans et est le plus douloureux que j’ai. Je me souviens avoir utilisé mon pouvoir, sur ma mère, d’une façon stupide et assez violente pour presque lui griller le cerveau. Mais je n’avais que deux ans, je ne savais pas ce qui était réellement mal et je ne comprenais pas ce que c’était que ça. J’aimais chanter, ce n’était pas de ma faute, je ne voulais pas ça… Mais l’image de mes parents me tournant le dos, ma petite sœur dans leurs bras, ignorant mes hurlements camouflés par un masque, restera à jamais gravée dans mon esprit. Ma petite sœur n’avait qu’un an, une seule petite année mais elle a oublié qui j’étais, j’ai disparu de sa vie et lorsque je l’ai revu, elle ne savait pas qui j’étais.
Les personnes qui m’ont délivré de mes parents m’ont emmené à Fushigi Daigaku, une école qui, à l’instar du jeune Harry Potter, est devenue mon chez-moi, l’unique endroit où on voulait de moi. Mes parents m’avaient complètement éradiqué de leur vie, allant jusqu’à déménager pour ne pas qu’on leur pose de questions sur ma disparition. A l’école, j’ai rencontré des gens fantastiques qui se fichaient bien de mon pouvoir, de ma dangerosité. Enfin, jusqu’à mes six ans, on ne savait pas réellement si j’étais dangereux ou non.
Deuxième mauvais souvenir : l’année de mes six ans. Ce jour-là, j’ai presque tué quelqu’un, l’obligeant à cesser de respirer, même si ce n’était pas ce qu’il voulait, lui. On m'a presque fait tuer quelqu'un mais il ne pouvait pas savoir, tout comme moi. Après cet... épisode, ma vie n'a été que jeux dangereux. Je jouais littéralement avec les règles qu'on m'avait imposées. On m'interdisait de chanter, de parler sans autorisation, d'enlever le masque qui camouflait ma voix. Mais j'étais, en quelque sorte, en pleine crise d'adolescence. Il était inconcevable, à mes yeux, que j'obéisse, que je ne parle pas, ne chante pas -j'adorais chanter, à cette époque- que j'obéisse, tout simplement. De toute façon, je partais du principe que toute règle était faite pour être brisée. Je me suis mis à manipuler les gens, à jouer avec eux, parce que je voulais qu'on me regarde, qu'on m'aime, qu'on me craigne, aussi. Je voulais qu'on me voit pour de vrai, qu'on ne m'ignore plus. Et, un jour, quelqu'un a cessé de m'ignorer.
Park Hyeok Su. Son nom ne m'était pas étranger, bien au contraire. J'ai joué avec lui mais c'est moi qui ai perdu. Après ça, il est resté mon objectif principal, celui que je nommais comme mon ennemi numéro un mais qui était, en réalité, celui sans qui je commençais à ne plus pouvoir vivre. Puis mon « père » adoptif, le directeur, est mort. Hyeok Su a permis sa mort. Alors nous avons fui, ensemble, presque main dans la main, même si d'autres élèves nous ont suivi. Nous nous sommes rassemblés, avons refusé que les militaires nous contrôlent comme l'aurait voulu l’État. J'ai perdu ma sœur de cœur, Soon Ja, qui a fui aussi, mais de son côté. Elle n'a jamais compris pourquoi je suis parti avec Hyeok Su, elle n'a jamais compris pourquoi je n'arrivais pas à l'abandonner, celui qui est devenu mon petit ami.
Hyeok Su et moi avons emménagé ensemble, à Osaka, il dirigeait les Rebelles et je le surveillais en silence, cherchant le métamorphe que j'avais rencontré, à l'école, et qui avait, semblerait-il, disparu au profit d'un autre plus froid, dur, violent. Puis tout a, à nouveau, basculé. J'ai failli mourir, blessé par un scientifique. Hyeok Su a vu un de nos camarades mourir. Soon Ja a disparu. L'école a explosé, pleins d'élèves sont morts. Dont ma petite sœur.
Je ne chante presque plus, je ne trouve plus aucune joie dans la chanson et n'utilise presque plus mon pouvoir. A quoi cela servirait-il ? Ce pouvoir ne m'attire que des ennuis et ce, depuis ma naissance. Il ne m'aura apporté que des regrets. Je regrette d'avoir fait du mal à ma mère, je regrette d'avoir perdu ma sœur, je regrette d'avoir rencontré Hyeok Su, je regrette de l'avoir suivi, je regrette d'être né. Mais je ne peux pas retourner en arrière alors j'avance, en priant pour que l'homme que j'aime ne m'abandonne pas. Car, dorénavant, je n'ai plus que lui.
Tous ceux que j'aimais m'ont soit abandonné soit sont morts. Je n'ai plus que lui.